Publié par : behemothe | 20 février 2012

Réveillez-vous !


Il s’agit d’une transcription d’une partie de l’émission le Journal 3D de Stéphane Paoli sur France Inter du 27 mars 2011 à 12h00. Bon c’est un peu long, je ne sais pas qui aura le courage de tout lire. Mais cela ne fait rien, cette transcription je l’ai surtout faite pour moi, pour bien comprendre, je suis très très lent à la comprenette. Mais puisque c’est fait j’en fait profiter ceux que cela pourrait intéresser. Il est évident que les fautes d’orthographes sont mon glorieux apport aux débats.

Stéphane PAOLI : Elle est pas mal cette injonction « Réveillez-vous ! ». Nous allons tenter en effet de nous réveiller un peu dans cette première partie de 3D sur un sujet qui en encore une fois est un sujet difficile. Permettez moi de vous présenter ceux qui vont participer à cette première partie de l’émission.

(…)

A vos cotés se trouve Guy Baillon, merci d’être là, vous êtes psychiatre des hôpitaux, vous travaillez en équipe de secteur dans le 93 entre l’hôpital de Ville Evrard et le secteur de Bondy et vous êtes cofondateur de l’association « Accueils » et membre du collectif des 39 qui ont pris position aussi très clairement contre, ce qu’ils estiment être la nuit sécuritaire. Vous êtes l’auteur de plusieurs essais, dont un qui va beaucoup nous servir pour cette émission, « Quel accueil pour la folie » qui est paru aux éditions « Champ social ».

Alors je disais, en commençant, un projet de loi adopté en conseil des ministres, c’était en janvier dernier, débattu à l’assemblée ces derniers jours, qui assimile encore une fois la maladie mentale à la dangerosité. Je voudrais monsieur Baillon avec le psychiatre des hôpitaux que vous êtes, commencer par quelque chose qui ne sera pas simple :

Est-ce qu’on peut enfermer la folie dans une définition de la même façon que trop souvent malheureusement on enferme les patients dans des lieux sécurisés. Est-ce qu’il y a une définition de la folie ?

Guy Baillon : Je veux bien m’y lancer parce que je crois que c’est essentiel pour le débat. Merci de commencer par cette question, au passage vous prenez un très grand risque en m’ayant invité, vous ne savez pas tellement bien

Stéphane PAOLI : Si vous savez à quel point nous aimons les risques ici

Guy Baillon : Je sais que vous aimez les risques mais le problème c’est que moi aussi j’ai, et avec les personnes qui sont là, pris un très grand risque parce que, ce qui serait grave, c’est qu’on ne soit pas aujourd’hui convaincant pour expliquer ce qu’est la folie, pour expliquer l’effort que fait la psychiatrie et l’impossibilité d’accepter ce qui est en train de se passer en ce moment. Cependant c’est pas une émission, il faudrait qu’il y ait pendant toute une année, toute une suite de rencontre, de débat dans l’ensemble du pays pour que ce travail puisse être fait parce que c’est un vrai problème de société, aussi grave que le refus de la peine de mort qui à mon avis est en filigrane dans la loi aujourd’hui. On réintroduit, je dirai, les assassinats d’âmes, dans cette loi. Alors la folie, est-ce que je parle du plus simple?

Stéphane PAOLI : Mais dîtes nous d’abord comment vous, parce que ça m’intéresse de savoir comment vous la percevait, la personne que vous êtes quotidiennement abordait des hommes et des femmes dont on nous dit qu’ils sont fous, le sont-ils et qu’est-ce que la folie?

Guy Baillon : Alors je vais être le plus simple possible en vous précisant que lorsque je suis entré dans les hôpitaux psychiatriques dans les années 1960 et quelques, j’ai tout de suite eu peur de l’incompréhensible, de l’innommable, de la violence et de la misère surtout qui était là, et donc j’ai failli repartir. Donc cette incompréhension qu’a la société, elle est justifiée, elle ne peut être dépassée que si nous arrivons. Je vais vous dire très clairement. La folie c’est essentiellement les problèmes que l’on appellent psychose et les maniaco-dépressif. Et de quoi sont constitués ces troubles, essentiellement d’angoisses, de dépressions.Qui d’entre nous ne connait pas cela à des niveaux modestes. A un moment donné chez l’un ou l’autre d’entre nous, l’intensité va prendre une telle force que ça va être insupportable. J’étais consultant dans le service pédiatrique de l’hôpital Jean Verdier à Bondy et j’ai un jour été appelé pour voir un adolescent de 16 ans en proie à l’angoisse, je vous assure que c’est le spectacle humain le plus pénible qui soit. Il essayait de se casser la tête contre les murs. Mais à un moment donné, de cet implosion, de ce vécu insupportable, il y a quelque chose qui arrive, c’est le délire. Et le délire, Freud disait « c’est la première étape dans la guérison ». Pourquoi, parce que brusquement dans ce qui est invivable, il y a une lumière qui arrive, une sorte de révélation et qui permet à la personne de dire, mais ça y est il a compris pourquoi ce monde est hostile, il a compris ce qui est en train de se passer, puis il a compris sa pauvreté parce qu’il est très riche. Il va construire autour d’une idée, non pas quelque chose d’extérieur qui est un élément étranger, il va construire une partie de soi qu’il devra toujours garder car ça fait parti de lui, c’est sa création intime et donc à partir de là, il y a quelque chose qui va pouvoir se passer, qui est, je dirai formidable. Le seul problème c’est que ça entraine une conséquence grave, ce qu’a découvert Pussin, c’est qu’il y a deux part en lui, une part qui est troublé et une part qui est saine.

Stéphane PAOLI : Mais ce que vous nous décrivez, Mr Baillon, c’est évidement une image de la complexité et au fond vous nous dîtes que chaque homme et que chaque femme que vous approchez est toujours un cas d’espèce. Mais vous avez invoquez la peur. Je voudrais qu’on revienne un tout petit peu en arrière, 1795, l’hôpital Bicêtre, il y a un gardien, pas un médecin, le type qui est à la porte qui surveille les entrées et les sorties. Cet homme a été très très malade et probablement que l’expérience de sa maladie, probablement sa complexion naturelle, c’est surement quelqu’un de généreux, fait qu’il regarde les fous qui sont attachés et traités comme des bêtes avec un regard d’une humanité extraordinaire, ce jour là peut-être commence la psychiatrie.

Guy Baillon : La psychiatrie est né ce jour là. Quand on pense à cela on est plein d’espoir pour l’avenir. Pourquoi ? Parce que, comment se fait-il qu’un homme qui n’avait pas une très grande éducation qui est quand même capable d’écrire puisqu’il a écrit ses conclusions. Qui était pris dans un contexte général où il était convenu de dire que bien sûr les femmes étaient maltraitées mais les fous encore plus. C’est à dire les fous étaient des animaux sauvages. Comment se fait-il que cet homme ait eu cette idée ? Je ne suis pas sûr de sa maladie, je crois qu’il est un ancien tuberculeux. Comment se fait-il que cet homme ait eu cette idée de dire que ces personnes qui étaient si agitées si violentes si incompréhensibles et pleines de chaines, comme a-t-il pensé qu’il y avait là quelqu’un qui vivait ? Un Homme. Il était décrit par tous comme un animal sauvage. Et à partir de là faisant cette expérience qui était la première équipe de secteur qui s’est déployée, parce que accompagné de sa compagne Marguerite il a commencé à défaire des liens et puis il s’est rendu compte

Stéphane PAOLI : Il les a nourris, il les a habillés, il les a traités comme des humains, pas comme des bêtes

Guy Baillon : Et il s’est rendu compte au fur et à mesure de ses actes, ces hommes et ces femmes étaient capables d’avoir des liens, non seulement de pouvoir converser mais d’être capable de l’aider à panser les autres patients, à les nourrir. Et donc c’est une découverte vraiment extraordinaire et la phrase qui est reprise dans le livre de Gladys Swain et de Marcel Gauchet est de toute beauté :

« Chez toutes personne troublées, folle, persiste une part de raison gardée »

Stéphane PAOLI : C’est cela la folie totale n’existe pas. Il y a toujours en nous une part, comment vous dire, de normalité absolu.

Guy Baillon : D’avocat de la vie. Je vous assure si j’avais eu cette phrase au début de mes études et  je dirais les jeunes qui se présentent dans le milieu de la santé mentale, écoutent ça, je pense que leur peur initiale va diminuer aussitôt. Parce qu’ils savent qu’il y a un avocat chez la personne qui soit disant ne les comprend pas. On a plein d’expérience, nous, de personne malade en pleine agitation qui sont capables, un temps après, de faire un commentaire « si vous saviez comme j’ai été content du geste que vous avez eu » d’autres « quand même vous m’avez drôlement mal traité »

Stéphane PAOLI : Oui d’ailleurs on va entendre dans instant un témoignage édifiant de ce point de vu. Il y a une chose qui se trouve belle et forte parce qu’elle est courageuse , vous qui aviez peur docteur Baillon, c’est que vous dîtes quand même « on ne peut les guérir tous » et que donc même s’il n’existe pas de folie totale il existe des patients qu’on ne peut pas guérir. Donc il faut dire les choses pour ce qu’elles sont. Vous êtes confrontés quelque fois à des situation qui sont indépassables.

Guy Baillon : Je crois que le mot guérir est imprudent. J’ai peut-être dit cela et c’est imprudent parce que on est sur un terrain où comme dans le reste de la médecine il faudrait qu’on enlève un corps étranger qui fait mal, et qui produit du mal, alors que le trouble mentale fait parti de la vie de la personne du début à la fin de sa trajectoire et donc là il y a quelque chose qui est mal mené.

Stéphane PAOLI : Ce qui est navrant et on va venir au sujet et à sa dimension politique, c’est que quand on est comme vous même vous avez été confronté à la peur, le premier des réflexes que nous avons effectivement dans une société, c’est malheureusement de chercher les responsables et tout à coup voilà que parce qu’un étudiant, et c’est une situation dramatique, a été tué dans la rue à Grenoble par un dément, voilà que le président de la république dit il nous faut une loi, et que cette loi nous inscrit dans le tout sécuritaire dont on va parler maintenant. Il faut désigner des responsables

Guy Baillon : Oui mais juste avant, je voudrais vous dire quand même un petit mot au niveau de cette guérison dont vous venez de nous parler. Il a fallut des années et des dizaines années pour comprendre en effet qu’il y avait, qu’il était toujours nécessaire d’avoir des abords multiples pour aider la personne. Mais il y a un psychanalyste italien Gaetano Benedetti qui a tout a fait dit en quelque mot l’essentiel du processus de guérison. C’est à dire que quand on rencontre quelqu’un et qui est une clef pour tous les acteurs, quand on rencontre quelqu’un qui est en plein délire, qui nous fait peur dans son délire, si on a un tout petit peu de courage, un peu de patience, un peu de temps et qu’on accepte d’écouter le délire aussi violent soit-il, aussi incompréhensible soit-il, et que l’ayant écouté, on prend du temps, on est capable de le restituer à la personne et qu’on puisse lui montrer le respect que l’on a au lieu de le critiquer et qu’en même temps que cela l’acteur puisse se dire, vous savez ce que vous êtes en train de dire, premièrement c’est beau, je me souvient d’un sourire d’un patient « ah enfin on lui disait que son délire était beau » mais plus que cela ce que vous dîtes me fait penser à quelque chose à moi qui me paraît tout à fait proche qu’est-ce que vous en pensez ?. Et à ce moment là commence la spiral du soin. Le début de toute psychothérapie. Pas seulement pour les psychotiques, mais pour ce que l’on appelle les patient border line, ceux qui ont des difficultés mutique dans leur vécu. On est en train là d’ouvrir une porte qui ne va pas s’arrêter et qui permet de dire, dit Benedetti, de guérir des schizophrènes en quelques années quand on est dans de bonnes conditions avec le milieu environnant, dans la mesure où on ne peut jamais s’occuper de quelqu’un tout seul si on ne s’occupe de sa famille.

Stéphane PAOLI : Vous avez dit ouvrir une porte là, là où il est aujourd’hui question de les fermer. Juste une chose encore qui est magnifique et que vous partagez avec quelqu’un qui vous est cher et cher aux auditeurs sur l’antenne de France Inter, c’est Jean Claude Ameisen qui nous parle de Darwin, des évolutions de notre humanité. Vous dîtes avec lui que chacun d’entre nous et ceux aussi qui sont atteint de maladie mentale est lié au reste de l’humanité et que donc cet échange ce lien là il est impératif de le prendre en compte sinon nous renonçons à notre humanité. Et ça au fond vous nous proposez chacun d’entre nous d’être au fond un peu le sculpteur de nous même et ceux qui peuvent moins bien sculpter que les autres alors les aider mais pas les enfermer

Guy Baillon : Je suis émerveillé par le livre, j’avais lu le livre puis ensuite, j’ai écouté les émissions, je suis encore plus émerveillé. Voilà un anthropologue médecin qui en effet nous fait un parcours en s’appuyant sur Darwin, sur les épaules de Darwin, et sur toutes les découvertes les plus récentes qu’il est capable d’intégrer et cette capacité de présenter de façon intégrative toutes les données, Il est un peu prudent sur tout ce qui psychodynamique et psychanalyse mais on le voit approcher à la fin de son livre, il y arrive. Il arrive à intégrer tout et justement il nous fait comprendre que les gènes ne sont pas tout. Que ce qui est transmis de façon verticale de génération en génération n’est pas tout. Mais que tout ce que nous vivons, et il rejoint toute une suite de découvertes physiologiques récentes, y compris le prix Nobel Kandel, que tout ce que nous vivons se marque et laisse des traces, ce qu’a dit la psychanalyse, qui vont être constamment les unes et les autres en fonction des évènements utilisé par la suite. C’est à dire que tout ce que nous recevons est intégré et va devenir un message pour ceux qui nous entourent.


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